Chloe Savoie-Bernard
Biography
Chloé Savoie-Bernard occupe un poste de professeure de littérature à l’Université Queen’s. Ses intérêts de recherche comprennent les féminismes contemporains, la littérature des femmes au Québec, les études noires et la recherche-création. Elle a écrit plusieurs livres, dont Des femmes savantes (nouvelles, Triptyque, 2016, finaliste au Prix littéraire des collégiens et mention d’honneur du Prix Adrienne-Choquette de la nouvelle) et Sainte Chloé de l’amour(2021, Hexagone). Chez Triptyque, elle a aussi dirigé le collectif Corps (2018). Elle est également éditrice de poésie chez l’Hexagone, chroniqueuse au quotidien Le Devoir et traductrice littéraire.
Dr. Chloé Savoie-Bernard is a writer who works various forms: poetry, short story, literary criticism, and translation. As an editor she works at L’Hexagone, a publishing house in Montréal. She is also developing a practice in performance. She has published several books, most notably Des femmes savantes, (Triptyque, 2016) and most recently Sainte Chloé de l’amour (Hexagone, 2021). Since September 2022, she is a professor in the Department of French Studies at Queen’s University.
Poetics Statement
Sample of Poet's Work
Fastes (extraits)
plus d’une fois sans l’accord de personne
j’ai volé mon corps sur les tables d’autopsie
à bout de bras je l’ai descendu d’étages
je l’ai remonté de sous-sols
l’ai pitché des toits
j’aurais pu rompre ces lignes
braver mon règne pour me lover
dans mes chairs étrangères
prendre place
m’aligner en mon centre
pourtant morceau par morceau je me suis étendue
à côté des autres sur la corde à linge jouxtant
sexes tombés puis épinglés
corps à céder ou est-ce corps qui cède
ou a-t-il toujours cédé ce corps
attentive et déprise de mon unité
cent fois j’ai regardé ma peau se tanner se sécher se corner
lavée par les intempéries devenir un cuir
dont on finit par se lasser trop troué ce corps ce vêtement
qui ne me va plus alors je le mettrai dans un bac
à porter au village des valeurs
***
chaque fois avant d’offrir mon cadavre
j’extirpe de sa bouche
les tarentules polies par la salive
les emballe de velours sucré
avant de me les mettre en bouche
loin dans mon œsophage j’entends
à hauts klaxons les bibittes grimer
ma peur du vide
elles ornent mes échecs
leurs pattes font tinter fards et pinceaux
contre mes larmes et mes accidents
bercée par leurs alarmes
je ne crains
ni le khôl
ni la perte
***
somnambule dans la pénombre
de ma moelle granuleuse
je louvoie entre les insectes
et les parasites
à la recherche de ce qui me découd
me désagrège
me fucke
je gratte trop loin dans mes côtes
dans les sucs gastriques
mes empreintes digitales se dissolve
***
ambidextre du ratage
je cherche le tison
qui saura cautériser mon corps
ouvert
alchimie de conne
***
dormir rallume tout ce que le jour assassine
régurgite tout ce qu’il mange de moi
je perpétue mes suicides mes résurrections
pas tuable ni par moi ni par les autres
je dors un œil fermé sur mes morts à venir
un œil ouvert sur mes vies phosphorescentes
***
lorsque je dors mes yeux dégringolent
ils rient sans se mordre les joues
de me voir une fois encore
si hospitalière à la dépossession
et ainsi vont vont vont
ruissellent les pupilles
coulent et grouillent les paupières
tandis que les muscles laissés meurtris
pendus par la journée
se recréent à même leurs fragments
sur les morceaux poussent
des bras des jambes qui les meuvent
les traînent de l’autre côté de la porte où sagement
ils attendent au matin pour miauler
pressés de découvrir la chorégraphie des pertes
***
je tends l’oreille
observe les traces baveuses au sol
attentive à ce que le suintement
dévoile des membres en chute libre
***
au réveil dans les poils du tapis angora
traînent un bras
quelques orteils éparpillés
mais dès que le regard s’active
tentaculaires les organes remontent
un œil escalade mes cuisses mon ventre
il vient s’asseoir délicatement
dans son sphénoïde
la cornée élabore le rapatriement
elle veille à la mise en place du corps
avec des gestes sourds
***
mes mains tombées avancent
s’arriment à mes poignets
les garnissent
mon nombril se réinsère
et très vite tout se met à peu près en place
à peu près aux bons endroits
***
après m’être rassemblée
dans mes couvertures
je continue à trouver d’autres ongles
d’autres dents
d’autres doigts
je les crisse aux poubelles
la ville ramassera
mes morceaux excédentaires
en même temps que les vidanges
et le compost